Ici, autrefois, il y avait une ville. Un morceau de ville du moins, une place. Mais aux abords bondés de la célèbre fontaine de Trevi, en cette mi-mars, aux prémices de la si longue saison touristique romaine, un détail pourrait bien signaler que tout a changé, que la ville s’est retirée pour laisser place à son fantasme.
La foule bute sur un long guide-file mis en place en décembre 2024 pour organiser les flux humains devant le bassin maculé de pièces de monnaie. L’un des plus célèbres monuments de Rome, chef-d’œuvre baroque du XVIIIᵉ siècle, est en train de se transformer en un divertissement peut-être payant : la municipalité envisage de demander aux visiteurs de s’acquitter de 2 euros pour y accéder. Bien que cela mette un ordre bienvenu dans le chaos touristique, les plus amers des Romains y voient le présage de la mue définitive du centre de leur ville en parc d’attractions. Un lieu où les citadins ordinaires n’auraient plus leur place.
Des coups de sifflet retentissent. Déployés autour de la fontaine, des vigiles rappellent à l’ordre les touristes aux jambes fatiguées qui voudraient s’asseoir sur la margelle après avoir pris leurs inévitables selfies. « Parfois, on a un peu l’impression de s’occuper d’un troupeau de moutons. Ils ne nous voient même pas. Ils ne voient pas la fontaine, seulement à travers l’écran de leur téléphone », critique un vigile fataliste et désireux de conserver l’anonymat. Il s’interrompt soudain pour lancer un « Go down please ! » à des touristes américains attardés en haut des escaliers. Pour se reposer, mieux vaut choisir les bancs de l’église Saints-Vincent-et-Anastase-à-Trevi, juste en face, où des sœurs latino-américaines aux mines lasses vendent des images saintes et des chapelets en plastique. Dans la Rome d’aujourd’hui, la liberté d’Anita Ekberg et de Marcello Mastroianni, les amants de La Dolce vita, de Federico Fellini, qui s’enlaçaient dans l’eau de la fontaine une nuit de l’été 1959, relève plus que jamais du songe.
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